L'embrouille
de Jo Baron
édité chez Libre théâtre (librairie théâtrale)
4 hommes et 3 femmes
Comédie en 2 actes
Les personnages
THEODORE MARTIN dit THEO : Octogénaire peu scrupuleux, antécédents douteux durant la seconde guerre mondiale. Biologiste et psychiatre à l’occasion, il a inventé le sérum pour faire revivre sa femme, Anne, décédée soixante ans plus tôt d’une (soi-disant) crise cardiaque.
ANNE : Femme de Théo, revenue à la vie après 60 ans de grand sommeil.
ANGELE : Femme de ménage, à l’époque des années 40 et recrutée par Théo (80 ans, gaffeuse).
JOSEPH : Ancien ami de Théo qui jouera le rôle d’un officier de la gestapo, à l’époque, amant caché de la femme de Théo.
ADELAIDE : Concubine actuelle de Théo. Elle viendra troubler la mise en scène.
JO : Cambrioleur malchanceux, assez tombeur.
PAULO : Cambrioleur, niais et trouillard (si possible beaucoup plus petit que Jo) très fan de Louis De Funès et des comédies burlesques en général. (104 répliques)
Scène 1
(ANGELE, THEO)
(Théodore est dans son labo en train de préparer des potions)
Voix off : Mesdames et messieurs, contrairement au décor que nous vous présentons ce soir, nous sommes en l’année 2016 de notre ère. A droite, dans son labo, le très peu recommandable Théodore Martin, biologiste de pacotille, mais biologiste quand même, termine deux formules qui lui permettront de créer deux potions, une pour le rajeunissement et l’autre pour le vieillissement. Mais Théodore a fait mieux, car il vient d’inventer le nitram, qui est tout simplement l’anagramme de son nom, ce qui prouve évidemment le génie inventif du personnage. Ce fameux nitram va permettre à son épouse Anne, qu’il a conservé grâce à la cryoconservation pendant soixante années, de la faire revivre ce soir. Ce soir, Mesdames et Messieurs, vous allez vivre un évènement exceptionnel. (Théodore sort du labo, et sort son téléphone portable)
THEO : Allo ! Excusez-moi, j’aimerais avoir quelques précisions sur votre installation technique ! Oui alors, vous me dites …… ouvrir le tiroir droit (il ouvre le tiroir droit.), excusez-moi mais il ne se passe rien, vous dites ? ………. à fond ! (il ouvre le tiroir à fond, ce qui déclenche le bruit d’une patrouille allemande.) Excellent, excellent ! Et le tiroir gauche ? ….. Je fais de même ! (il ouvre le tiroir gauche à fond, ce qui déclenche une sirène et des projecteurs de DCA.) Excellent travail, excellent, excellent !! Merci aussi pour l’odeur de violette, c’était son parfum préféré ! Félicitations ! (il raccroche, jetant un regard vers le haut de l’escalier.) Tout est prêt pour t’accueillir ma chère Anne, et là je vais enfin savoir, grâce à mon génie, soixante après, avec qui tu me trompais et aussi où tu avais caché ce fameux trésor ! L’heure de la vérité a sonné ! Dans peu de temps, des rues porteront mon nom …… Angèle !
ANGELE : Oui Monsieur !
THEO : Pourquoi êtes-vous venue ?
ANGELE : Ben, parce que vous m’avez appelée, monsieur !
THEO : Je vous ai dit cent fois ce matin, que pour l’événement de ce soir, vous vous appellerez Irma. Angèle était le prénom de notre femme de ménage en 1944…
ANGELE : Je sais, c’était moi…
THEO : Mais je vous avais congédié la veille de la mort de Madame.
ANGELE : Je sais, même que j’étais pas contente.
THEO : Peu importe, mais en fait, ce soir, vous êtes censée être sa remplaçante, je vous ai pris, vous, malgré votre âge, car c’est vous qui connaissiez le mieux ma femme, vous connaissez ses habitudes et vous vous appellerez Irma, c’est bien compris …. Irma !
ANGELE : Oui Monsieur. Mais vous n’avez pas peur qu’elle me reconnaisse ?
THEO, moqueur, la dévisageant. : Alors là, pas de problème, pas de risque, la nature a quelque peu modifié votre anatomie depuis soixante ans, alors je vous le répète, pas de risque qu’elle vous reconnaisse.
ANGELE : Par contre, je sais pas si je vais supporter le choc ! Revoir Madame, comme çà, soixante après sa mort, j'ai peur que mon cœur ne résiste pas !
THEO : Allons, allons, imaginez que vous êtes dans une pièce de théâtre, et que tout ceci n’est qu’imaginaire et ça ira ! Autrement, vous avez bien vérifié que les volets des chambres étaient bloqués.
ANGELE : Oui, j’ai vérifié, mais pourquoi faîtes vous tout ça ?
THEO : Mais bon sang, Angèle, vous ne comprenez donc rien à rien ! Pendant toute cette nuit, ma femme doit être coupée du monde extérieur, comme dans « Hibernatus ». Je me donne donc la nuit pour pouvoir lui annoncer la vérité, tout doit se dérouler dans la douceur pour éviter un choc qui pourrait lui être fatal. Bon, vous pouvez aller !
ANGELE : Bien monsieur ! (Elle s’en va.)
THEO : Angèle !
ANGELE, se retournant. : Oui Monsieur !
THEO : Mais bon sang, c’est pas vrai, mais vous êtes bouchée ou quoi ! Vous vous appelez Irma !
ANGELE, s’énervant : Oh écoutez, professeur, c’est embrouillant, je ne m’appelle pas Irma.
THEO : Vous vous y ferez ! Allez, par sécurité, je voudrais qu’on répète votre entrée en scène, vous allez sortir et entrer, faîtes comme si c’était du théâtre, allez…. (Elle sort vers la bibliothèque, Théo active la cloche.)
ANGELE : Vous m’avez demandé monsieur ?
THEO, s’adressant à sa femme imaginaire. : Ma chérie…
ANGELE : Ben monsieur Théo, c’est la première fois que vous m’appelez comme çà !
THEO : Mais c’est pas à vous que je parle, idiote, c’est à ma femme !
ANGELE, regardant autour d’elle. : Ben, elle est où votre femme, je vous signale qu’elle n’est pas encore ressuscitée !
THEO : Mais bon sang, faîtes un effort, je simule votre entrée, c’est du théâtre, vous n’avez jamais fait de théâtre ?
ANGELE : Ben si, à l’école, avec les sœurs !
THEO : Alors imaginez Madame ici, assise dans le canapé (il s’adresse au canapé.) Ma chérie, je ne te l’avais pas dit, mais voila, je te présente notre nouvelle femme de ménage, qui va remplacer cette idiote d’Angèle.
ANGELE : Ah ben merci !
THEO : Mais bon sang, arrêtez de me compliquer la tâche, c’est simplement pour faire plus vrai (à Angèle.) Elle va certainement vous demander votre prénom !
ANGELE : Angèle, madame ! (se reprenant.) je m’appelle Irma Madame ! (Découragée.) Mais je n’y arriverai jamais ! C’est trop embrouillant !
THEO : Vous devez y arriver, vous n’avez plus que vingt minutes pour vous reprendre. D’autre part, moins vous parlerez et moins vous direz de sottises. Répétez-moi de quoi surtout vous ne devez pas parler en présence de Madame !
ANGELE : Alors ça, monsieur, je l’ai appris par cœur, alors je ne dois pas parler des émissions de télé, tel que L’amour est dans l’pré, la star’ac, de l’internet, de la csg, du rtt, de Johnny Hallyday, de Barack Obama, de Ben Laden, de mai 68, des 35 heures, de … (on peut changer ou en ajouter autant qu’on le souhaite suivant l’actualité du moment.)
THEO : Bon, ça va, ça va… maintenant allez vous détendre et concentrez-vous ! (On sonne.) Allez ouvrir avant de sortir.
ANGELE : Comment voulez-vous que je sorte si je ne vais pas ouvrir.
THEO, excédé. : Faîtes entrer, et laissez-nous ! (Joseph entre.) Ah, c’est toi, entre, quand à vous, vous pouvez aller ! (Angèle sort.)
Scène 2
(JOSEPH, THEO)
JOSEPH : Alors, c’en est où ?
THEO : C’est bon, je suis fin prêt, tout a été préparé dans le moindre détail, ma chère femme va revenir dans cette maison, comme il y a soixante ans et….
JOSEPH : Je ne sais pas si c’est une bonne idée !
THEO : Comment çà ?
JOSEPH : Je ne doute pas de ton génie, mais imagine qu’elle se réveille complètement gaga et que …
THEO : Mais bon sang, je suis sûr de moi, mon sérum va régénérer toutes ses cellules et selon mes calculs, nous allons la retrouver telle que nous l’avons connue il y a soixante ans. Il ne nous restera plus qu’à lui faire avouer où elle avait caché le trésor des Rosenberg et voilà ! Et après, je m’arrange pour qu’elle ait une nouvelle crise cardiaque et on en parle plus.
JOSEPH : Et la bonne ?
THEO : Quoi, la bonne ?
JOSEPH : Elle est au courant ?
THEO : Bien sûr que non, si elle était au courant, on serait obligé de la faire disparaître elle aussi. Par contre, j’ai bien peur qu’elle me fasse quelques gaffes, cette pauvre femme n’a pas plus de cervelle qu’il y a soixante ans.
JOSEPH : Et moi, là-dedans je suis quoi ?
THEO : Peut-être un agent de la gestapo, ami de Théodore, c’est tout, par contre, j’ai un problème, j’avais trouvé deux acteurs, dont un pour pouvoir faire du charme à ma femme…
JOSEPH : Quoi ?
THEO : Ben oui, si on veut lui faire avouer où se trouve le trésor, il va falloir user de ruse, et c’est pas à quatre vingt piges que je vais réussir à la draguer et il y a autre chose que j’aimerais lui faire avouer..
JOSEPH : Quoi donc ?
THEO : Il y a soixante ans, ma femme avait un amant.
JOSEPH, perturbé, se tournant vers le public. : Hein, tu es sûr ?
THEO : Certain, et je veux absolument savoir qui c’est, ça fait soixante ans que j’attends ce moment et …..
JOSEPH : En admettant qu’elle te le dise, ça te fera quoi de plus ?
THEO : C’est simple, si j’apprends que cet odieux personnage est encore vivant, je prendrai un malin plaisir à m’occuper de son cas.
JOSEPH : C’est-à-dire ?
THEO : C’est-à-dire, que ses jours seront comptés, c’est tout.
JOSEPH : Mais enfin, Théo, tu ne crois pas que tu vas un peu trop loin, je ne suis pas prêt à te suivre dans cette démarche.
THEO, cynique. : Mon vieux Joseph, je te signale que tu n’auras pas le choix, si tu ne marches pas, tu plonges, nous sommes liés par un destin que nous avons choisi il y a soixante ans… alors.
JOSEPH : Tu me parlais de deux acteurs ?
THEO : Oui, j’avais embauché deux intermittents du spectacle, mais en ce moment ils sont tous en grève, alors il va falloir faire sans.
JOSEPH : Euh, au fait pour l’histoire de l’amant de ta femme, tu as su ça comment ?
THEO : Le matin du jour de sa mort, au téléphone, j’étais revenu sans qu’elle le sache et j’ai entendu une conversation. Elle devait le retrouver dans la soirée. Par contre, elle n’a prononcé, ni son nom, ni son prénom.
JOSEPH : C’est maigre, comment veux-tu trouver qui c’est, soixante ans après ?
THEO : Justement, je comptais sur un acteur qui aurait pu utiliser son charme et la faire parler, mais …
JOSEPH : La grève des intermittents, pas de chance, mon vieux Théo, tu ne sauras pas qui était l’amant de ta femme !
THEO : Ecoute je le saurai, par n’importe quel moyen, je le saurai et, s’il est encore en vie, ce ne sera pas pour longtemps. Et je compte sur toi pour m’aider à le supprimer.
JOSEPH : Moi ?
THEO : Oui, toi, n’oublie pas, nous sommes liés par un certain passé, et si tu refusais, Dieu sait ce qu’on pourrait apprendre à ton sujet.
JOSEPH : Mais je peux, moi aussi, en faire autant !
THEO : C’est bien pour ça que je te dis que nous sommes liés par le passé. Je m’arrangerai bien sûr pour que c’ait l’air d’une crise cardiaque, j’ai l’habitude.
JOSEPH : Tu as l’habitude…tu .. tu veux dire que Anne, il y a soixante ans, c’était toi ?
THEO : Elle en savait trop sur nos activités, je ne pouvais pas prendre de risques.
JOSEPH : Et tu veux la faire ressusciter, uniquement pour retrouver le trésor des Rosenberg.
THEO : Pas uniquement, mon vieux Joseph, je veux aussi connaître son amant !
JOSEPH : Ah oui, l’amant, l’amant, c’est vraiment une idée fixe !
THEO : Bon, tu peux aller, le moment fatidique n’est pas loin. Je vais lui injecter mon fameux nitram et dans vingt minutes, elle apparaîtra dans ce salon, comme il y a soixante ans !
JOSEPH, sortant. : J’ai connu des situations bizarres, mais ce soir, là c’est fort. Bon, tu me fais appel dès que je dois entrer en scène !
THEO : N’oublie pas, un coup de portable et tu frappes à la porte.
JOSEPH : Bien ! Au fait, qu’est-ce que tu as fait d’Adélaïde ?
THEO : Je l’ai envoyée chez sa sœur pendant le week-end sous prétexte que je voulais être tranquille pour une nouvelle expérience. En fait, je n’ai pas vraiment menti ! (Joseph sort)
Tableau
Scène 3
(THEO, ANGELE, ANNE)
(Théo est assis dans le canapé. La lumière est tamisée. Théo attend le moment crucial du réveil de sa femme, il s'assoit doucement dans le fauteuil, il ne doit pas être vu par Anne.)
THEO : Voilà, maintenant ma chérie, il ne te reste plus qu’à entrer dans ce salon, et je pourrai enfin être considéré comme le plus grand génie de tous les temps ! (La lumière shunte doucement, et seule, une veilleuse éclaire l’horloge, les aiguilles avancent jusqu’à minuit, soudain, on entend chantonner depuis la chambre. Théo se lève et se met la main au cœur. La porte s’ouvre, Anne, en chemise de nuit, entre.)
ANNE, se regardant dans le miroir. : Mon dieu, quelle horreur, j’ai certainement du trop dormir pour avoir une tête pareille! J’ai une mine cadavérique ! (Théo reste assis, figé, sans oser se détourner.) Quelle heure peut-il bien être ? (Regardant l’horloge.) Mon dieu, c’est pas vrai, je vais être en retard, il m’avait dit minuit et je suis encore là. (Elle se dirige vers la salle d’eau, se met à renifler.) Qu’est-ce que c’est que cette odeur, on dirait de la violette, c’est vraiment insupportable !
THEO, en aparté. : Nom d’une fiole, je me suis trompé, ce n’était pas de la violette !
ANNE, de la salle d’eau : Théo…..Théo ! (Théo se met à trembler.) Bon, s’il n’est pas rentré, je vais lui mettre un mot que je suis parti chez ma sœur qui est malade, comme il croit tout ce que je lui dis. (Elle écrit.)
THEO, à mi-voix. : Je suis un génie, j’ai réussi, bientôt, dans chaque ville, une rue portera mon nom….
ANNE, essayant de nouveau, au travers de la porte de la salle de bain. : Théo, tu es où ? (En aparté.) Bon, il doit encore fricoter avec les ….
THEO, avec une intense émotion. : Je……… je ……………suis………… là !
ANNE, apparaissant à la porte des chambres, en tenue légère. : Qu’est-ce que… (Elle aperçoit Théo, et se recouvre avec un coussin) Voyons, mais qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faîtes dans mon salon ?
THEO, très ému, il se lève. : Je …je …suis….je….suis…(il s’effondre dans le fauteuil.)
ANNE : Mais Monsieur…(elle évente le visage de Théo avec un journal.) Monsieur, réveillez-vous ! Monsieur…monsieur….mais c’est pas vrai ! Angèle, Angèle! (Pas de réponse d’Angèle.) Ah zut, c’est vrai que mon idiot de mari l’a virée hier. Mais qu’est-ce que je vais faire de ce vieux machin ? (Angèle apparaît.) Allons bon, encore quelqu’un que je ne connais pas, vous êtes qui ? (Angèle s’évanouit.) Ah non, si çà continue, je vais être en retard à mon rendez-vous ! (Elle assoit Angèle sur le canapé, Angèle se réveille doucement.) Alors, expliquez-moi qui vous êtes !
ANGELE, émue, bégayant. : Je …suis…suis… la nouvelle femme… de ménage, votre mari… m’a embauchée cet après-midi !
ANNE : Et ben, il n’a pas pu trouver plus jeune !
ANGELE : Je m’excuse mais je l’ai pas fait exprès !
ANNE : Exprès de quoi ?
ANGELE, hésitante. : Ben, de pas être plus jeune, en tous les cas, vous, vous n’avez pas changé.
ANNE : Pourquoi vous me dîtes ça ?
ANGELE, réagissant sa gaffe. : Pour rien !
ANNE : Bon alors, vous vous appelez comment ?
ANGELE : Ang….euh…Irma !
ANNE : Vous êtes sûre ?
ANGELE : Ben évidemment, quelle question ?
ANNE, douteuse. : Admettons, alors vous allez peut-être pouvoir me dire qui est ce vieux monsieur évanoui dans mon fauteuil !
ANGELE : Qui ça ? (Elle aperçoit Théo, se lève.) Mon dieu, monsieur Théodore !
ANNE : Alors, vous le connaissez ?
ANGELE : Bien sûr, et vous aussi….
ANNE : Je regrette, mais je ne connais pas ce monsieur ! Vous dîtes qu’il s’appelle Théodore ?
ANGELE : Ben oui quoi, sa tête ne vous dit rien ?
ANNE : Euh … Essayez de le ranimer, et pendant ce temps-là, je vais appeler le docteur Robert. Allez, bougez-vous !
ANGELE : Bien Madame ! (En aparté.) Eh ben, soixante ans après, toujours aussi mal commode ! (Elle sort.)
ANNE : C’est pas possible, il a du aller la recruter dans un hospice. (Elle essaie le téléphone.) Allons bon, ça ne fonctionne pas, ah c’est bien ça le monde moderne, on vient de nous installer le téléphone et voilà que ça marche déjà plus. (Elle cherche la panne.) Ah, vous m’en direz tant, le fil n’est même pas branché ! (Elle branche le fil.) Voilà ! (Elle compose un numéro) Oui bonjour madame, je voudrais le 21 à Beaupréau, s’il vous plaît ! (silence.) c’est possible, mais moi, c’est le numéro qu’on m’a donné alors….(silence.) je sais madame, mais on m’a donné le 21, c’est un numéro que j’ai déjà appelé et…..(silence, Angèle entre et commence à réanimer Théo.) mais bon sang, ça fait déjà trois fois que vous me dîtes que le numéro n’est pas attribué, alors je vous répète que…(silence.) Bon, je laisse tomber, cette pauvre femme doit certainement avoir un problème.
ANGELE : Vous avez un problème, Madame !
ANNE : J’ai voulu appeler le docteur Robert, et je suis tombée sur une cinoque, qui n’arrêtait pas de me répéter « le numéro que vous demandez n’est pas attribué, veuillez consulter le service des renseignements » (Angèle se met à rire.) qu’est-ce qui vous fait rire ?
ANGELE : Madame était tout simplement en conversation avec un rép…. (Comprenant la gaffe.) avec une cinoque.
ANNE : Vous êtes sûre que vous allez bien ?
ANGELE : Pour sûr que je vais bien, par contre le Théo, lui, je sais pas ! (elle continue à le réanimer.)
ANNE : Il ne se réveille pas !
ANGELE : Ben non, pour l’instant, Théo dort !
ANNE : Bien, puisque le docteur Robert ne répond pas, je vais appeler la doctoresse Bonnet, je la connais bien. (Elle décroche le téléphone.) Allo, oui bonjour, je voudrais le 53 à Montrevault, s’il vous plaît ! (Silence.) Je m’excuse, c’est pourtant bien son numéro, attendez ! Je vérifie (elle consulte l’annuaire.) Une minute, je vérifie ! (Silence.) J’ai dit une minute, je vérifie ! Bon sang, je sais, ça fait trois fois que vous me le répétez ! (Elle raccroche, en colère.) Bon sang, qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ?
ANGELE : Vous n’avez pas pu avoir l’autre docteur !
ANNE : Je suis encore tombé sur une… !
ANGELE : Une cinoque, madame !
ANNE : C’est ça, une cinoque qui n’arrêtait pas de me répéter « il n’y pas la Bonnet au numéro que vous avez demandé !» et pourtant, je suis sûre du numéro de la doctoresse Bonnet !
ANGELE : Vous en faîtes pas madame, monsieur Théo va bien se réveiller.
ANNE : Vous connaissez son nom ?
ANGELE : Ben oui, Théo, je vous l’ai déjà dit, Théodore mais on l’appelle Théo !
ANNE : Comme mon mari ?
ANGELE : Ben évidemment !
ANNE : Pourquoi évidemment ?
ANGELE : Ben parce que….. (S’énervant.) Ah pis arrêtez de me poser tout le temps des questions, c’est énervant à la fin.
ANNE : Non mais, dîtes donc, c’est moi qui vous paye, alors, un autre ton, je vous prie ! Je vais finir par regretter Angèle, elle était peut-être très gourde mais au moins, elle était obéissante.
ANGELE, vexée. : Bon ça va, excusez-moi ! (Théo ne réagit toujours pas.)
ANNE : Par hasard, savez-vous où est Théo ?
ANGELE, ne comprenant pas la question, jetant le regard sur Théo. : ……
ANNE : Voyons Angèle, je ne parle pas de ce monsieur, mais de mon mari.
ANGELE, déroutée. : Ah…c’est vrai, alors ça, c’est une bonne question, euh…je crois que Monsieur est sorti, et comme c’est le couvre feu, il risque de ne pas rentrer avant l’aube.
ANNE : Ce n’est pas grave, je ne m’inquiète pas pour lui, il a beaucoup d’amis qui l’hébergeront. Dîtes-moi, Angèle, à votre avis, j’ai dormi pendant combien de temps cet après-midi ?
ANGELE : Longtemps madame, oh là là là là, longtemps, longtemps, longtemps…
ANNE : C’est à dire ?
ANGELE : Au moins soixante…….. (Se reprenant.), au moins soixante minutes !
ANNE : Vous voulez dire une heure !
ANGELE : C’est ça madame, c’est ça ! (Théo ouvre les yeux.) Ah ça y est, il ouvre les yeux. Alors monsieur Théo, on nous fait des petites frayeurs !
THEO : Qu’est-ce qui m’est arrivé ?
ANGELE : Un choc, cher professeur, un sacré choc !
ANNE : Ce monsieur est professeur ?
ANGELE, en aparté. : Il est professeur en biologie, un truc comme ça, en fait il est un peu givré sur les bords, il se prend pour ce type bizarre qui tire la langue !
ANNE : Vous voulez dire Einstein. Vous savez, mon mari est un peu comme ça ! D’ailleurs, je le surnomme instinct, comme ça, quand on me demande, Anne qu’est-ce que tu fais ce soir, je leur réponds : ça dépend de mon instinct !
THEO, se tournant vers Anne. : C’est pas possible, tu es Anne, c’est incroyable….
ANNE, à Angèle. : En plus, il me tutoie. (À Théo.) Vous me connaissez ?
THEO : Mais bien sûr ma ché…. (Angèle interrompt.)
ANGELE : Voyons Madame, vous ne reconnaissez pas votre beau-père, c’est incroyable.
ANNE : Mon beau-père, mais Théo m’a dit que son père était mort depuis une dizaine d’années.
ANGELE : Madame, je ne voudrais pas être médisante, mais vous savez, votre mari… (Geste de doute avec sa main.) je sais pas si on peut toujours tellement lui faire confiance.
ANNE : Alors vous, je ne vous comprends pas, vous êtes embauchée depuis cet après-midi, mais vous avez l’air de déjà bien le connaître……hélas ! (Elle se tourne vers Théo.) Alors, comme ça, vous seriez mon beau-père !
ANGELE : Exactement, puisque je vous le dis…
ANNE : Mais bon sang, Angèle, enfin, je veux dire Irma, laissez le répondre, et puis allez préparer la chambre d’amis pour mon ….. pour mon beau-père et ensuite, vous pourrez aller dormir.
ANGELE : Vous êtes sûre que vous n’avez besoin de rien.
ANNE : Allez, Angèle, si j’ai besoin, je vous ferai signe. (Angèle sort.) Dîtes, comme ça n’a pas l’air de vous déranger que je vous appelle Angèle, je peux continuer à vous appeler comme ça, j’étais tellement habitué.
ANGELE : Pas de problèmes Madame, ben ça m’arrange drôlement !
ANNE, surprise, en aparté au public. : Décidément, elle a l’air bizarre cette femme. (À Théo.) Alors Monsieur, ça va mieux ?
THEO, fixant Anne. : Incroyable !
ANNE : Vous dîtes ?
THEO : Rien rien….excusez-moi, je me remets doucement !
ANNE : Alors, comme ça, vous seriez mon beau-père ?
THEO, surpris. : Votre beau-père ?
ANNE : Oui, Angèle vient de me dire que vous étiez mon beau-père alors que, d’après Théo, je vous croyais mort depuis déjà une dizaine d’années.
THEO : C’est la femme de ménage qui vous a raconté ça ?
ANNE : Oui mais, vous savez, ce n’est pas grave, votre fils n’en est pas à son premier mensonge. Vous voulez boire quelque chose pour vous requinquer ?
THEO : Non, pour le moment, ça va, merci madame !
ANNE : Voyons, vous n’allez pas m’appeler madame, je suis votre belle-fille tout de même, appelez-moi Anne, tout simplement ! (Le téléphone sonne, Angèle accourt pour répondre.) Laissez, Angèle, je vais répondre ! (Angèle n’a pas le temps de répondre.) Allo ! (Silence.) non, mon mari n’est pas là ! (Silence.) Je ne sais pas quand il sera là, et franchement je m’en fiche complètement ! (Silence.) Ecoutez, arrangez-vous avec lui, je ne m’occupe pas de ses affaires, bonsoir ! (Elle raccroche violemment, Théo et Angèle s’interrogent.) Je ne comprends pas qui c’était. En fait, c’était trois suisses qui lui réclamaient de l’argent, des euros, vous connaissez ça comme monnaie, vous ?
ANGELE : Ben …. !
ANNE : De toute façon, mon idiot de mari, avec tous les trafics qu’il fait, plus rien ne m’étonne, les allemands, les italiens, dans une monnaie que je ne connais même pas et maintenant il traficote avec trois suisses !
ANGELE : Vous êtes sûre que c’est pas plutôt la redoute ? (Théo envoie un coup de canne sur les fesses d’Angèle.)
ANNE : Qu’est-ce que vous dîtes ?
ANGELE : Euh…je voulais simplement dire que je redoute que ce soit les trois suisses.
ANNE : Mais enfin, Angèle, je ne comprends pas, vous êtes là depuis cet après-midi et vous connaissez les fréquentations de mon mari ! Vous les connaissez, ces suisses ?
ANGELE, hésitante. : Ben oui !
ANNE : Ils sont comment ?
ANGELE : Petits.
ANNE : C’est tout ce que vous savez sur eux ?
ANGELE : Ben oui !
ANNE : En fait, vous les trouvez comment, ces suisses ?
ANGELE : Délicieux !
ANNE : Comment ?
ANGELE, se reprenant. : Oui, enfin, je veux dire charmants, ils sont charmants.
ANNE : Des gens charmants qui fréquentent mon mari, ça se saurait, comme c’est curieux ! Décidément, ce soir, que de mystères, je crois que je vais aller dormir !
ANGELE : Encore !
ANNE : Comment çà encore ?
ANGELE : Ben je voulais dire, comme vous avez dormi soixante ….. enfin je veux dire une heure cet après midi, ça m’étonne que vous ayez encore sommeil, c’est tout !
ANNE : Décidément, vous me rappelez de plus en plus cette idiote d’Angèle. Allez bonne nuit !
THEO et ANGELE : Bonne nuit ! (Elle sort.)
ANGELE : Non mais, vous avez vu comment elle me traite !
THEO : Elle vous traite comme il y a soixante ans, c’est tout, mais vous avez failli tout gâcher avec l’histoire des trois suisses. C’était bien le moment de parler de la redoute.
ANGELE : Bon c’est vrai, ça m’a échappé mais après je me suis bien rattrapée.
THEO : Le coup des petits suisses, bravo, ça frisait la débilité. Bon, allez vous coucher, je vais appeler Joseph, et rappelez-vous, moins vous parlerez et moins vous direz de conneries, c’est bien compris ?
ANGELE : Oui monsieur !
THEO : Bonne nuit !
ANGELE : Bonne nuit monsieur ! (Angèle sort. Théo prend son portable.)
THEO : Allo, Joseph ! (Silence.) tu peux venir, elle est couchée ! (Il veut allumer sa pipe.) Bon sang, où sont les allumettes ? (Il cherche dans le tiroir, et déclenche le bruit de la patrouille.) Nom d’une fiole, le bruitage, je n’y pensais plus ! (Anne accourt.)
ANNE : Qu’est-ce que c’est ?
THEO, improvisant. : Une patrouille allemande, vous savez, c’est le couvre feu, c’est normal !
ANNE : Ah bon ! (Elle remonte vers la chambre et aussitôt, on frappe légèrement à la porte, Théo va ouvrir.)
THEO, ouvrant la porte pour Joseph. : Tu peux entrer, elle a failli te voir, j’ai déclenché la patrouille par erreur et elle s’est levée pour me demander ce que c’était.
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